Secouer l'arbre du Yoga par T.K. Sribhashyam
Soumis par flaine le 26/08/2015
Rencontre avec T.K.Sribhashyam, fils de T.Krishnamacharya
T.K .Sribhashyam reste une figure méconnue du yoga en France, où il vit pourtant depuis plus de 40 ans. Le documentaire « Le souffle des dieux », lui a donné la parole aux côtés de BKS Iyengar et de Pattabhi Jois. C'est à Cimiez, sur les hauteurs de Nice, où il est installé avec sa femme française, que nous l'avons rencontré.
La vie de Sribhashyam est depuis toujours liée à l'univers du yoga que son père lui a transmis dans l'enfance et que lui même a commencé à enseigner en Inde, à Madras, dans les années 60, avant de venir en France. Son point de vue sur la transmission du yoga en Occident est très clair : cette transmission n'a pas encore eu lieu et reste à venir. C'est maintenant à l'Occident de « secouer l'arbre du yoga » pour qu'il donne ses fruits.
Un septuagénaire joyeux
Rencontrer Sribhashyam, c'est rencontrer un septuagénaire joyeux... et un peu désabusé quant à la transmission du yoga à l'Occident jusqu'à présent. Pour lui, cette transmission s'est construite sur une sorte de méprise historique et l'Occident ne sait toujours pas ce qu'est réellement le yoga. Cette méprise a reposé sur un consensus accepté aussi bien par les enseignants indiens que par les premiers Occidentaux ayant découvert le yoga. Et c'est ainsi que l'Occident a assimilé le yoga aux postures qui ne sont pourtant qu'un des aspects, une seule des branches de l'enseignement du yoga.
Les origines du yoga
Pour comprendre comment le yoga est venu en Occident, il faut remonter loin, bien avant l'indépendance de l'Inde. Les Anglais avaient alors imposé une sorte de couvre-feu sur la pensée indienne en cherchant à diffuser leurs propres croyances par les missionnaires chrétiens. Les Indiens sont alors devenus méfiants par crainte d'être réprimés. Cela a abouti à une forme de « secret » indien dans la diffusion de la pensée védique qui peut s'expliquer de deux manières. D'abord, selon la tradition, le yoga ne s'enseigne pas à n'importe qui mais doit correspondre à une quête profonde et sincère d'un enseignement avant tout spirituel ; et ensuite, la crainte de représailles.
Aussi quand les Occidentaux, toujours attirés par ce qui est nouveau, ont découvert un éventail de postures corporelles qu'ils ne connaissaient pas, cela a « arrangé » les Indiens de laisser penser aux Occidentaux que le cœur du yoga était représenté par des postures difficiles comme sirsasana (la posture sur la tête) ou padmasana (le lotus) et qu'ils en viennent même à assimiler le yoga au challenge de ces postures ! Selon Sribhashyam, l'Inde s'est alors dit intérieurement : l'Occident n'est pas prêt pour apprendre autre chose.
Une quête existentielle reposant sur la dévotion
En Inde, surtout à cette époque, raconte Sribhashyam, il en allait tout autrement. Les gens avaient l'habitude de pratiquer certains exercices quotidiens de gymnastique et s'ils allaient trouver un professeur de yoga c'était après une longue réflexion car ils savaient ce que cela impliquait. C'était un engagement ayant pour but d'assouvir une quête existentielle reposant sur la dévotion. C'est le fondement de cette quête, son cœur, c'est là qu'elle trouve son enracinement. Les asanas ne sont qu'un moyen. Pour Sribhashyam, à partir de ce moment, il y a eu comme une scission entre « un yoga avec » et « un yoga sans » (Dieu). C'est à dire un yoga très traditionnel en Inde où rien ne se fait sans prière et un yoga qui est venu en Occident dans lequel l'aspect physique est prépondérant. D'ailleurs, beaucoup des premiers enseignants de yoga en Occident avaient pratiqué auparavant la gymnastique suédoise et avaient des corps souples et entraînés.
Sribhashyam a été confronté lui-même dans sa vie à cette double approche. En effet, après avoir fait des études commerciales en Inde et travaillé dans le management, il a également commencé à enseigner le yoga dans les années 60 à Madras. Parmi ses élèves, il avait beaucoup de disciples occidentaux. Quand, en 1969, il a reçu une bourse américaine pour poursuivre ses recherches liées au yoga et qu'il a eu le choix du pays où s'installer, il a choisi la France car il y avait des élèves très motivés. Mais quelle ne fût sa surprise et sa déconvenue de constater que l'écoute sur place y était toute autre et qu'on l'empêchait en quelque sorte de replacer l'enseignement des asanas dans l'approche globale dévotionnelle du yoga.
On lui donnait la parole à condition qu'il ne parle ni de philosophie ni de spiritualité. C'était peu après 1968. Encore aujourd'hui, il a l'impression que les Français pensent que parler de Dieu est devenu une faiblesse. Il a constaté que cette réserve fondamentale vis-à-vis de la religion était particulièrement marquée en France par rapport aux autres pays européens où il s'est déplacé comme la Suisse, l'Italie, l'Allemagne ou les pays nordiques. C'est devenu pour Sribhashyam un obstacle dans l'enseignement du yoga et il n'a pas pu mener les recherches qu'il escomptait. Le succès du yoga est allé vers une orientation de plus en plus physique qui faisait plaisir aux élèves. Alors qu'autrefois, en Inde, ce n'était pas le nombre d'élèves qui faisait la valeur de l'enseignant mais ses connaissances, ce qu'il donnait. Tel l'exemple tutélaire de son père T. Krishnamacharya.
L’optimisme de Sribhashyam
Mais qu'en est-il à présent, alors que le yoga est devenu à la mode depuis surtout 10 ans ? Et là, Sribhashyam se montre très optimiste et espère beaucoup des femmes. Certes, on ne sait pas ce que nous réserve l'avenir et si l'Occident qui aime toujours le changement va garder son attachement pour le yoga. Mais, si c'est le cas, les femmes peuvent y jouer un rôle déterminant. On sait qu'elles sont beaucoup plus nombreuses que les hommes à pratiquer le yoga. Et leur motivation est souvent différente. Selon l'expérience de Sribhasyam, elles perçoivent qu'il s'agit d'autre chose que d'un développement purement corporel. Elles ont souvent une quête intérieure que le yoga leur permet d'épanouir. Pour Sribhashyam, si seuls les hommes avaient pratiqué le yoga en Occident, il serait devenu un « sacré sport » et rien d'autre. C'est grâce aux femmes que la « face cachée » du yoga commence à apparaître. Pour cela, pour redonner au yoga sa vraie valeur, il faudrait que l'Occident retrouve sa curiosité et ne reste pas dans « le confort » de l'apprentissage de certaines sensations physiques et corporelles. L'Occident doit secouer l'arbre du yoga. Et Sribhashyam répète : pourquoi l'Occident, réputé si curieux, n'a-t-il pas envie d'en savoir davantage ? Va-t-il sortir de sa léthargie ? Oui, il est temps : il faut secouer l'arbre du yoga pour qu'il puisse ici, en Occident, donner ses fruits et laisser s'épanouir son vrai but : la paix mentale.
T.K.Sribhashyam a fondé l'école de yoga Yogakshemam. Il a publié en français Emergence du yoga etLa voie de la libération, un itinéraire dans la philosophie indienne aux éditions Yogashemam.
Tiré de l'article de Esprit Yoga de Juin 2015, merci Béatrice Boyer pour le partage de ce témoignage intéressant.